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Récital Poétiques

CHANT: Ode à Bourbon

Refrain:

Bourbon chéri, Ô riant séjour

À toi ma vie, à toi mes jours

Dans tes campagnes j'aime à courir

Sur tes montagnes, je veux mourir

 

C1: Que j'aime ta verdure

Merveilleuse parure

Joyau de la nature

Ô riant séjour


 

C2 De tes cimes altières

Tu verses ta lumière

Pays des âmes fières

Ô riant séjour


 

C3 Ô terre de clémence

Pays de mon enfance

Ma corne d'abondance

Ô riant séjour


 

POEME 1: « Ma poésie ainsi qu’un jeune arbuste en fleurs… » (Poèmes et Paysages VIII)

Ma poésie, ainsi qu’un jeune arbuste en fleurs,
Se couronne parfois d’éclatantes couleurs.
Quand son front, effleuré des ailes de l’aurore,
Sent frissonner sa feuille et ses bourgeons éclore ;
Quand tout son être ému, touché par le soleil,
Sent monter et courir la sève du réveil,
Soudain comme un bouton son feuillage se brise
En grappes de parfums, et s’ouvre sous la brise ;
Et, secouant dans l’air des nuages d’odeurs,
Sa tête, où de la nuit tremblent encor les pleurs,
Laisse aller au zéphyr, comme une molle ondée,
Strophe éclose et senteur, la fleur d’or et l’idée.
Et de sa chaude écorce où tout vibre à la fois,
Et de sa verte cime aux frémissantes voix,
Et de sa feuille humide, et de ses grappes mûres,
S’épandent dans les airs d’ineffables murmures ;
Et de l’arbre-poète, aux rameaux inspirés,
Les fruits disent : « Aimez ! » et les fleurs : « Espérez ! »


 

POEME 2: Les bois détruits » (Poèmes et Paysages XVI , 3)

Il ira, cet enfant dont le front révolté
Porte un natal reflet de ta mâle âpreté,
Il ira sur tes monts où siègent les nuages,
Bleus-palais éthérés de l’esprit des orages ;
Et là, seul avec toi, si dans l’ombre des nuits
Il exhale en secret l’hymne de ses ennuis,
Mère, à sa voix pardonne un accent de colère :
Cette voix dut flétrir ta honte séculaire.
S’il naquit pour chanter les bois, les eaux, les fleurs,
Le sort ne lui fut pas avare de douleurs ;
Enfant né pour le jour, persécuté par l’ombre,
Il sait ce que la vie a de dégoûts sans nombre ;
Aussi, triste, mais calme et bravant tout écueil,
Il va seul à son but dans son tranquille orgueil.
Sur les sommets altiers, sur la montagne austère,
Il marche loin des pas des heureux de la terre ;
Leurs injustes dédains à son âme ont appris
A payer leurs dédains d’un trop juste mépris ;
Mais de ce cœur blessé l’indulgence hautaine
N’est jamais descendue au niveau de la haine ;
Vers des dieux plus cléments il aspira toujours,
Et toujours la nature eut ses hautes amours.
Les torrents écumeux, la foudre et ses ravages
Ont façonné son âme à leurs concerts sauvages ;
Mais son verbe attendri, pour célébrer tes bords,
O mon île ! oubliera les farouches accords.
Pour chanter sur les monts ta verte Salazie
Sa lèvre épanchera le miel de poésie ;
Et le jour où, donnant dans un dernier adieu
Sa dépouille à la tombe et son esprit à Dieu,
Il se reposera d’une existence amère,
Tu verseras peut-être une larme, ô ma mère !

POEME 3 Le Piton des Neiges (Poèmes et Paysages VIII)

Voici le pic altier dont le front sourcilleux
Se dresse, monte et va se perdre au fond des cieux.
Ce morne au faîte ardu, c’est le Piton d’Anchaine.
De l’esclave indompté brisant un jour la chaîne,
C’est à ce bloc de lave, inculte, aux flancs pierreux,
Que dans son désespoir un nègre malheureux
Est venu demander sa liberté ravie.
Il féconda ces rocs et leur donna la vie ;
Car, pliant son courage à d’utiles labeurs,
Il arrosa le sol de ses libres sueurs.
Il vivait de poissons, de chasses, de racines :
Dans l’ombreuse futaie ou le creux des ravines
Aux abeilles des bois il ravissait leur miel ;
Il surprenait au nid ou frappait dans le ciel
Sa proie. Et seul, tout seul, et fière créature
Disputant chaque jour sa vie à la nature,
Africain exposé sur ces pitons déserts
Aux cruelles rigueurs des plus rudes hivers,
Il préférait la lutte incertaine et sauvage
A des jours plus cléments passés dans l’esclavage,
Et debout sur ces monts qu’il avait pour témoins,
Souvent il s’écriait : « Je suis libre du moins ! »
Cependant comme l’aigle habitant des montagnes,
Qui du fond bleu des airs descend vers les campagnes,
Sur les sillons mouvants plane avec majesté,
Et s’approchant du sol par sa proie habité,
La ravissant au ciel dans sa puissante serre,
Reprend son vol farouche et remonte à son aire ;
Le hardi fugitif, abandonnant les bois,
Loin de son pic altier s’aventurait parfois ;
Il butinait de nuit dans le champ et la plaine,
Puis remontant, furtif, à son abrupt domaine
Par l’âpre aspérité d’un sentier roide et nu,
Invisible au regard et de lui seul connu,
Des bonheurs de l’esclave exilé volontaire,
Il regagnait là-haut sa hutte solitaire.


 

POEME 4:À l’île natale (poème introductif à Poèmes et Paysages )
O terre des palmiers, pays d'Éléonore,
Qu'emplissent de leurs chants la mer et les oiseaux !
Île des bengalis, des brises, de l'aurore !
Lotus immaculé sortant du bleu des eaux !
Svelte et suave enfant de la forte nature,
Toi qui sur les contours de ta nudité pure,
Libre, laisses rouler au vent ta chevelure,
Vierge et belle aujourd'hui comme Eve à son réveil ;
Muse natale, muse au radieux sourire,
Toi qui dans tes beautés, jeune, m'appris à lire,
A toi mes chants ! à toi mes hymnes et ma lyre,
O terre où je naquis ! ô terre du soleil !

POEME 5 : Les Bois détruits (Poèmes et Paysages XVI ; 1)

J’ai vu des nobles fils de nos forêts superbes
Les grands troncs abattus dispersés dans les herbes,
Et de l’homme en ces lieux j’ai reconnu les pas.
Renversant de ses mains l’œuvre des mains divines,
Partout sur son passage il sème et les ruines
Et l’incendie et le trépas.

Que de jours ont passé sur ces monts, que d’années
Pour voiler de fraîcheur leurs cimes couronnées
D’arbres aux troncs d’airain, aux feuillages mouvants !
S’il faut, hélas ! au temps des siècles pour produire,
A l’homme un jour suffit pour abattre et détruire
L’œuvre séculaire des ans.

Sur ces sommets boisés qu’un souffle tiède embaume,
Ma muse, blonde enfant qui naquit sous le chaume,
Vers des cieux bleus et clairs essaya son essor ;
Et butinant leur miel aux fleurs de Salazie,
Elle errait et cueillait sa fraîche poésie,
Légère abeille aux ailes d’or.

Peut-être avant le jour où ma tête blanchie
Penchera vers le sol, pesante et réfléchie,
Revenant à ces lieux demander leurs abris,
Je reverrai des monts sans verdure et sans ombres,
Et, pleurant en secret nos solitudes sombres,
Je gémirai sur leurs débris.

Je veux fermer mon cœur aux douloureux présages…
O gigantesques monts où dorment les nuages,
De vos arbres sur nous balancez les arceaux !
Défendant vos beaux flancs des haches meurtrières,
Que notre main conserve à vos têtes altières
Leurs chevelures de rameaux !
 


Et vous, doux habitants de ces lieux solitaires,
Hommes simples et purs, aux mœurs hospitalières,
Respectez-les, ces bois qu’ont respectés les ans !
Laissez sous leur verdure et leurs ombres profondes
Errer les couples blancs, jouer les têtes blondes
Des colombes et des enfants.

Joignez à l’arbre fier de sa haute stature
L’humble arbuste où l’oiseau trouve sa nourriture ;
Aux marges du torrent qui bouillonne argenté,
Laissez rougir la fraise et la framboise éclore ;
Que la pêche y suspende au soleil et colore
Son fruit au duvet velouté.

Que la brise, agitant vos touffes de jam-roses,
Épanche autour de vous la douce odeur des roses ;
Que leur dôme embaumé s’incline sur les eaux ;
Sous leur voûte cachez vos maisonnettes blanches,
Comme on voit, suspendus dans l’épaisseur des branches,
Les nids ombragés des oiseaux.

Restez sourds aux conseils d’une avide opulence ;
De sagesse et d’amour vivez dans le silence.
Le trésor le plus pur vient de la paix des cœurs.
Mais chassez l’étranger de vos bois centenaires,
Car il profanerait de ses mains mercenaires
Vos forêts vierges et vos mœurs !

 

POEME 6 : Les Bois détruits (Poèmes et Paysages XVI ; 2)

Qu’ont-ils fait de nos bois, qu’ont-ils fait de nos terres,
Ces défricheurs venus des plages étrangères,
Par un vent de malheur sur nos grèves jetés ?
Ne voulant voir en eux que des déshérités,
Notre île hospitalière accueillit leur détresse
En mère, et sur leurs deuils mesura sa tendresse.
Abritant leurs fronts las, de son ciel tiède et pur
Elle étendit sur eux la coupole d’azur ;
Sous leurs pieds écartant les épines jalouses,
Elle ouvrit le velours de ses molles pelouses,
Fit chanter, pour bercer leurs souvenirs amers,
Les oiseaux de ses bois et les flots de ses mers,
Et leur prouva par l’acte et non par la parole
La chaude loyauté de l’amitié créole.

Mais tes fils adoptifs ont trahi tes bontés.
Ils ont porté la mort dans tes champs dévastés.
Le froid amour de l’or éteignant dans leurs âmes
Le foyer virginal et noble aux belles flammes,
Ils ont privé ton ciel de ses peuples d’oiseaux,
Tes plaines de leurs fleurs, tes nymphes de leurs eaux ;
Et, sapant tes forêts, ô ma mère ! leur glaive
Fit tomber de ton front ta chevelure d’ Ève.
Et nous avons permis que leurs bras éhontés
Missent à nu les flancs qui nous ont enfantés !
Et sous nos yeux ils ont, de leurs mains libertines,
Profané les secrets de tes formes divines !
Et nous l’avons souffert ! et nos justes fureurs
N’ont pas honni, chassé ces durs dévastateurs
Que la vague en courroux, rebuts d’un autre monde,
Déposa sur nos bords comme une vase immonde ! […]

POEME 7: Les Bois détruits (Poèmes et Paysages XVI ; 2 -suite-)

O misère ! ô douleur ! Ce n’est pas tout encor,
Car ils nous ont légué leur appétit pour l’or :
A leur souffle glacé notre âme s’est flétrie ;
Nous n’avons plus au cœur l’amour de la patrie !
De la terre natale où dorment nos aïeux
Nous éloignons nos pas, nous détournons les yeux ;
Nous n’aspirons qu’à l’heure où gorgés de richesses,
Fuyant ces lieux, berceaux de nos pures jeunesses,
Nous pourrons dans le sein des lointaines cités
Étaler au grand jour nos sottes vanités !
Et pour voler au but où notre espoir s’attache,
Nous portons en tous lieux et la flamme et la hache ;
Et l’on ne voit partout que des champs dépouillés,
Que d’arides plateaux aux rocs noirs et pelés,
Qu’une herbe rare et jaune et des arbustes fauves
Sur les flancs décharnés de nos montagnes chauves ;
Et, courbés vers le sol, chaque jour dans son sein
Nous fouillons de la pioche et du pic assassin.
De nos champs épuisés, sans remords et sans trêve,
Notre lèvre acharnée a bu toute la sève ;
Et, desséchant ce sein qui nous a tous nourris,
Quand il n’est plus de lait dans ses vaisseaux taris,
Tout gonflés et repus du sang de notre mère,
Nous faisons voile, hélas ! vers la rive étrangère,
Et nous allons aux yeux des superbes cités
Étaler au grand jour nos sottes vanités !

 

POEME 8 : Pense à moi (XXVIII ème Salazienne)

 

Si tu vois une fleur, que le zéphyr délaisse,

Mourir à son matin sans baiser ni caresse,

Pense à moi, pense à moi !

Et si tu plains l'oiseau que le vent ou l'orage

Egara loin du nid qui berça son jeune âge,

Pense à moi, pense à moi !


 

Si d'un triste exilé quelque beauté frivole

Repoussait devant toi l'amoureuse parole,

Pense à moi, pense à moi !


 

Et si tu vois alors ce fils d'un autre monde

Au ciel lever des yeux que la douleur inonde,

Pense à moi, pense à moi !


 

Si tu vois quelque jour une funèbre pierre

Où nul ne vient porter ses fleurs ni sa prière,

Pense à moi, pense à moi !


 

Et sur la tombe où gît la dépouille endormie,

Si tu trouves ces mots : "Il n'eut jamais d'amie !"

Pense à moi ! Pense à moi !


 


 

POEME 9: Les cloches du soir (XVème Salazienne)

Quand des cloches du soir la voix mélancolique

Rappelle à sons plaintifs, sous leur chaume rustique,

Le pâtre et ses troupeaux dans les champs dispersés ;

De mes ans révolus le souvenir s'éveille ;

Et dans les voix du soir je crois prêter l'oreille

A la voix de mes jours passés.


 

Où sont mes jeux d'enfant ? Craintives hirondelles,

Vers des climats d'azur ouvrant leurs faibles ailes,

Avec mes beaux printemps ils se sont envolés ;

Ils ont craint des hivers les haleines trop rudes...

Oh ! revenez parfois peupler mes solitudes

Doux fantômes des jours passés !


 

Où sont mes compagnons d'amour et de jeunesse ?

Le ciel qui les aimait a trahi sa promesse ;

Les meilleurs dans la mort reposent embrassés ;

De ceux qui restent l'âme est oublieuse et fière...

Rappelez à mon cœur leur tendresse première

Douces voix de mes jours passés !


 

Où donc est cette enfant toute blonde et naïve

Que j'aimais jeune encor d'une amitié si vive ?

Du sentier des douleurs ses pas sont effacés ;

Et des cloches du soir, dans ta sombre demeure,

Tu n'entends plus la voix qui vibre et qui te pleure,

Doux sylphe de mes jours passés !


 

O cloche, qui jadis, comme une sainte mère,

Me rappelais la nuit pour dire ma prière ;

Quand la chaleur fuira de mes membres glacés,

Que ton accent plaintif m'arrive et me console ;

Au ciel avec tes sons que mon âme s'envole,

Douce voix de mes jours passés !


 


 


 

POEME 10 Le papillon (XVIème Salazienne)

Jeune et beau papillon, dont les ailes dorées

Réfléchissent du ciel les couleurs azurées,

Qui passes dans les airs comme un souffle animé,

Qui disputes les fleurs aux baisers du zéphyre

Et quand du jour mourant le crépuscule expire,

Dors sur leur calice embaumé ;


 

Si tu vois mes amours, comme à la fleur éclose,

N'offre pas ton hommage à ses lèvres de rose ;

Cette erreur est permise à ton œil enchanté ;

Mais je serais jaloux de ton bonheur suprême :

Je veux seul respirer sur la bouche que j'aime

Les parfums de la volupté.


 

POEME 11: À l'île natale (en clôture à Poèmes et Paysages )

Je puis mourir : j'ai dit, ô mon île natale !

Ton ciel, tes monts, tes bois, tes champs, tes eaux, tes mers.
Mon âme t'a payé sa dette filiale :
Sur tes flancs de granit j'ai buriné mon vers.
Chez moi ce n'est point l'art, c'est le cœur qui te chante.
Ma piété pour toi fit ma voix plus touchante ;
Mon cœur m'a révélé tes secrètes beautés.
D'autres fils te naîtront qui des muses hantés,
Admirant à leur tour tes splendeurs et ta grâce,
Par tes vals escarpés cheminant sur ma trace,
Lisant partout mon nom sous la ronce vorace,
Rediront après moi ton ciel, tes monts, tes bois.
Souris avec orgueil à leur lyre nouvelle !
L'écho de tes rochers me restera fidèle,
Car, versant à mes vers ta sève maternelle,
Ton âme, ô mon pays ! a passé dans ma voix.